Conférence de David Cormand au Dôme, Montpellier, Jeudi 25 Mai 2023

L'eurodéputé vert David Cormand était présent hier, à la brasserie du Dôme de Montpellier pour rencontrer les montpelliérain.e.s et héraultais.e.s.

Cet évènement était organisé par les Jeunes Ecologistes de Montpellier, dont les co-secrétaires sont Marion Antrope et Guilhem Vern

Ses réponses aux membres du public ont été recueillies ci-dessous par Raphaël Valette, porte-parole EELV Mauguio-Lunel.

Q: Numérique et technologie

DC: "C’est une question très importante : la tech, le digital, le numérique. C’est un vrai sujet parce que l’économie numérique est en train de bouleverser la production et la consommation dans nos vies, à peu près de façon aussi importante que la révolution industrielle, et le législateur et les institutions n’y sont pas préparé-e-s, et l’UE est très en retard par rapport à des modèles. 

Les GAFAM qui atteignent un niveau de capitalisation inédit. il y a quelques années, la société la plus grosse c’était General Motors, 100 milliards, aujourd’hui c’est 2 mille milliards, et ils ont une capacité d’influence sur nos vies qui est quasiment équivalente à un État, elles imprègnent ce qui venait du régalien, elle financent des sous marins qui véhiculent la donnée. On pense que le numérique c’est des clouds, mais en fait c’est des choses matérielles, à 100 % financées par des grands groupes. Vous vous rappelez de l’agression russe en Ukraine, où Musk avait mis à disposition des satellites pour aider l’armée Ukrainienne à communiquer. Ils ont une puissance colossale.

 A coté il y a un autre modèle : la Chine. Un modèle totalitaire. Ça repose sur des logiques de monopole et d’exploitation de nos données et de nos vies. Les entités qui avaient le droit d’avoir une ingérence sur nos vies, c’était les États, aujourd’hui c’est les groupes privés. L’enjeu pour l’Europe c’est pas de concurrencer ces modèles, c’est de développer un droit et une logique de l’utilisation du numérique spécifique, qui repose sur la protection des données, le refus de l’accaparement des datas, c’est ce qui permet de nourrir les IA, il y a un alter modèle européen à construire. 

Sur le numérique durable, contrairement à ce qu’on nous explique, le numérique n’est pas l’allié de l’écologie. Il repose sur des matières premières et un rapport à la consommation incompatible avec les limites planétaires. il y a eu un enjeu qui a été très concret, il y a une pénurie de semi conducteur : il y a la conception, la fabrication et le découpage. Une usine de semi conducteur c’est plusieurs dizaines de milliards d’euros, c’est colossal. Et les deux puissances qui maîtrisent cette construction c’est les USA et la Corée du sud. il y a une course à rapetisser ces semis conducteurs, et plus il est petit plus il consomme de la matière pour le fabriquer. 

Il y a une vraie question politique qu’il faut se poser : de quel semi conducteur on a besoin ? 

Quel numérique on veut ? Quelle logique on veut de l’usage du numérique ? 

C’est une question politique. Il faut nourrir cet alter modèle européen car on est le 1er marché du monde. On est mis en demeure par les USA en disant : il faut choisir un camp. Ils disent « vous devez être nos alliées contre la Chine ». Le débat n’est pas de choisir un camp mais de construire une identité géo politique de valeur par rapport au totalitarisme de la Chine et ultralibéral productiviste des USA. Le vrai débat c’est que si c’est pour ouvrir des mines en Europe, c’est idiot parce qu’elles produiront pas assez. L’Union Européenne n’a pas les capacités financières des USA ou de la Chine. il y a 300 à 400 milliards aux USA chaque année dans l’investissement du numérique depuis 40 ans. 

On nous vend la légende du gars dans son garage, mais c’est pas vrai. Internet est une invention qui a été prévue pour un usage militaire. il y a un enjeu plus politique que technique."

Q: Énergie et sobriété énergétique européenne

DC: "On peut arriver à une sobriété énergétique en Europe, mais je ne suis pas un spécialiste de l’énergie. Ceci dit, il y a un certain nombre d’études dans plusieurs pays européens.

 Les Verts européens ont financé une étude dans une université en Lituanie pour travailler sur une énergie sans fossile. Ce sont les choix politiques qui guident cela. L’agression russe en Ukraine l’a révélé : l’Europe n’a jamais réellement réfléchi à une prospérité énergétique sans énergies fossiles. Il n’y a que nous en Europe qui sommes autant à fond sur le nucléaire. Le gros du problème c’est le fossile. 

L’UE n’a jamais mis au service le fait de se passer du fossile pour sa puissance économique. Elle a toujours considéré un truc en pente douce, elle a jamais voulu basculer d’un modèle à l’autre. Jusqu’à maintenant, il y a jamais eu de transition énergétique, jusqu’au moment où on a utilisé du bois pour se chauffer, on continue à beaucoup en utiliser mais on a ajouté à ça le charbon, puis le gaz et le pétrole, puis le nucléaire, puis le renouvelable. On continue à utiliser tout ça, on ajoute une modernité à une ancienneté. 

Il faut vraiment faire une transition : on arrête d’empiler les sources d’énergies et on passe à 100 % renouvelables. Comment on passe d’infrastructures pensées pour brûler du pétrole à une infrastructure pour ne plus en brûler une goûte. Il y a des choix déterminants d’infrastructures, on sait aujourd’hui faire de la scierie avec de l’électricité ou de l’hydrogène, on sait faire potentiellement du ciment et d’autres matériaux de constructions. 

Il y a la question agricole et de l’habitat, on va regarder les postes qui consomment des fossiles, c’est agriculture, industrie et habitat. Sur tous ces postes, il y a des alternatives qui nécessitent de l’investissement, mais ça crée de l’emploi et de l’économie. Basculer du fossile à du pas fossile, ça demande du temps. A Montpellier on construit des logements nouveaux impossibles à vivre sans moyens motorisés individuels, il faut construire des endroits avec des transports en commun structurants, quitte à construire de nouvelles lignes. 

Si on fait ça, en une génération, on sait faire 100 % de renouvelables. il y a des arguments techniques, le débat sur le nucléaire, on peut l’avoir, mais c’est pas une question de savoir technique, c’est une question de choix politique. L’Europe a la capacité : elle a des moyens financiers pour sortir du fossile et changer d’infrastructure. Il faut penser à la justice sociale, car dans une transition c’est les pauvres qui morflent le plus, donc il faut aussi préparer ça, 200 milliards à l’échelle européenne par an pendant 25 ans donc. C’est beaucoup d’argent, mais pour la part européenne c’est pas énorme. Le budget européen c’est 160 milliards par an, 1 % des des richesses produites annuellement. Le budget fédéral américain c’est 25 % des richesses produites annuellement. J’étais à Washington la semaine dernière, on a rencontré le département d’état qui travaille sur la recherche, 200 milliards par an pour financer la recherche : quand ils cherchent un truc ils trouvent. 

A l’échelle européenne en comparaison c’est quelques milliards."

Q: Protection consommateur

DC: "Je suis dans une commission qui s’appelle Ingo, marché intérieur et protection consommateur, c’est une commission stratégique car l’UE c’est un marché. Cette commission décide des réglementations auxquelles sont soumises les entreprises qui vendent à l’Europe. Donc on a beaucoup de pouvoirs. 

Très peu de multinationales peuvent se passer de l’UE. Le gros du travail qu’on a effectué, c’est intégrer les modèles environnementaux dans les normes du marché. La logique du marché c’est : la concurrence permet d’avantager les consommateurs, car la concurrence fait que il y a une auto régulation et donc les objets sont de bonne qualité et durent longtemps. C’est évidemment faux. L’UE a un petit budget, mais son gros pouvoir c’est le réglementaire, on est très puissants là dessus. C’est sur ça qu’il faut s’appuyer. 

On a beaucoup travaillé sur l’obsolescence programmée. Bientôt, l’obsolescence prématurée sera considérée comme une pratique illégale. L’obsolescence programmée c’est un concept ancien qui a accompagné la révolution industrielle, des moyens colossaux ont été mis par des grosses entreprises mais n’avaient plus de débouchés. Comme avec Ford qui fabriquait des voitures et les vendent. Ils augmentent les salaires pour qu’ils puissent l’acheter, et décident d’essayer d’en vendre deux. L’intérêt c’est de faire tourner l’usine et de continuer de vendre des produits même après la vente. On sait faire des collants qui ne filent pas, mais du coup ça se vend vachement moins. Alors qu’un collant fragile ça se vend plus en nombre de quantité. Cette notion d’obsolescence programmée était défendue par des économistes, qui disait qu’il fallait arrêter de construire des choses solides. Sur Apple, ils installent des obsolescences. Le fait de pas pouvoir démonter la batterie et la changer par exemple. Mais l’obsolescence prématurée fait peser la charge de la preuve au constructeur. Dans "programmé", il fallait prouver que le créateur avait programmer le truc pour vous niquer, alors que dans "prématuré" la charge de la preuve est au fabriquant. 

C’est au fabriquant de prouver que l’outil a été construit dans les règles de l’art. Ça change le rapport à la construction et à la consommation. Il faut aussi que les outils soient réparables, et il faut prouver que l’outil est réparable, et je fais aussi un travail sur la publicité. Je vais sortir à la fin de l’été un manifeste contre la publicité. Dans la notion d’obsolescence, il y a aussi l’obsolescence marketing : l’objet marche mais on vous dit que vous êtes la dernière des merdes si vous n'avez pas le nouveau. 

La débauche et l’usage de matières premières pose question dans ces pratiques : les métaux rares par exemple sont en très petite quantité, pour obtenir un kilo de métal rare il faut remuer plusieurs tonnes de matières. Ce sont des objets qui vont avoir un dizaine de gramme dans notre appareil qui ont généré des hectares d’usines de merdes en Afrique ou les gens sont exploités, violés, tués, torturés."

Q: Lutte extrême droite

DC: "Si j’avais la solution pour savoir comment lutter contre… 

Qu’est ce qui est en train de se passer au niveau européen ? il y a 6 ou 7 groupes au parlement avec 709 membres. Il y a le groupe LEFT de 49 membres avec LFI et les communistes grecs. Le groupe social démocrate avec 130 membres. Le groupe Vert avec 73 membres, Renew, les centristes avec LREM avec 102 membres. Le PPE avec les gens de droite classique qui est le plus gros groupe. 

Et deux groupes d’extrême droite avec celui du RN avec ID qui sont les identitaires et 75 membres, et le ECR et ses 70 membres qui sont les conservateurs où siègent Meloni, qui est la présidente de l’ECR, et Zemmour essaye d’y siéger. Il y a des lettons dont un des membres avait commémoré la section Waffen SS du pays. Donc vraiment des fachos. Le groupe PPE est en train de glisser vers l’extrême droite, et le groupe Renew qui s’allie avec l’extrême droite dans de plus en plus de votes. 

Et là, ces derniers jours dans les commissions agricoles et pêche, où il y a une coalition de la droite centriste à la droite extrême. il y a une tectonique des plaques qui dérivent vers les fachos, ce qui est dangereux ce qu’il il y a des alliances entres des partis qui sont pas des fachos mais qui votent avec des fachos. 

En France, on explique qu’il faut faire des referendums pour virer les arabes. Bellamy, pareil, il se rase, il sent bon mais c’est horrible ce qu’il dit. 

Et le patron du PPE a discuté avec Meloni, parce qu’il veut la majorité européenne, mais il y a aussi le conseil européen, avec la réunion des chefs d’Etats, c’est un peu comme le Sénat par rapport au parlement européen. Ils dealent avec nous, et il faut se mettre d’accord avec ce conseil. Mais ce groupe de l’ECR est de plus en plus puissant au sein du conseil européen. 

Le pays le plus puissant que dirige le PPE c’est la Suède. il y a un basculement qui s’opère avec des coalitions droite - extrême droite dans les États, et c’est avec eux qu’on devra dealer au niveau européen. Il y a eu amendement des fachos qui dit que dans les objectifs budgétaires il faut compter la fabrication des murs, et le rapporteur polonais du PPE a dit la même chose mais dans un langage plus soft, et cet amendement modéré du PPE est passé, et des centristes français du parti Horizons se sont juste abstenus. 

Il y a 5 ans, quand Trump disait qu’on va construire des murs, la classe politique européenne l’a pris pour un fou, 4 ans après la majorité du parlement a voté la même chose. Ils sont prêts à faire des alliances même si l’amendement a été battu à la fin. Je pense qu’il faut qu’on relève le drapeau des valeurs, beaucoup de forces politiques disent que l’UE c’est des frontières, nous devons dire que ce sont des valeurs. Les frontières européennes ont toujours bougé, pas les valeurs. 

Le ressort, c’est le refus de la barbarie. Il faut retrouver ce sens originel de s’appuyer sur des valeurs, ça sera un combat d’idées. Depuis l’origine, l’UE est une cogestion droite gauche, la dernière fois ils étaient pas assez nombreux ils ont mis les centristes. 

Il faut expliquer aux socialistes qu'il n'y a plus de cogestion, on ne peut pas débattre avec des fachos. Il faut une majorité politique, elle va de la LEFT jusqu’aux centristes. 

Il faut dire aux socialistes que la gestion avec la droite n'est plus possible. Renew et les socialistes ne sont pas chauds pour ça. 

Quand Macron dit que l’extrême gauche c’est pareil que l’extrême droite, il dit ça pour être la force d’équilibre, mais en faisant ça, il est au service de l’extrême droite."

Q: Pourquoi les mesures sont insuffisantes face à ces enjeux ?

DC: "Aucune possibilité de le savoir. Pour plein de raisons extérieures à l’Europe. Plus ça va et pire c’est parce que le temps de prise de conscience et de l’effondrement sont beaucoup plus rapide que le temps de réaction politique. 

Une fois qu’on a dit ça, quel autre levier on a ? On parle d’éco-anxiété mais la situation est tellement grave qu’on a pas les moyens de désespérer. Le moindre levier à notre disposition, il faut s’en saisir. Les alternatives, les résistances, les institutions, tout ça faut le faire, il faut tout occuper, tout tenter, c’est une mobilisation et un champ de bataille générale. Il faut être plus nombreux que les autres sur tous ces échelons là. 

Au niveau européen, quand j’ai été élu : le Brexit, le statut quo européen… c’était l’inertie. Ça c’est le 1er juillet 2019. Les anglais se barrent début 2020, mais il y a aussi le Covid. Ce qu’on nous disait impossible, en 15 jours c’est tombé : règle des 3 %, l’emprunt mutualisé, plan de relance… rien de tout ça n’était autorisé dans les traités. Face aux faits, ce qui était impossible peut être réalisé en 3 semaines. 

Aujourd’hui tout est revenu comme avant, mais c’est possible. En UE, depuis 1988, il n'y a pas eu d’impôt européen, c’est con parce que ça permet de toucher ce qu’on peut pas toucher au national : paradis fiscaux, les riches qui se barrent, les multinationales… c’est à l’échelle de l’Europe qu’on fait de la fiscalité sociale. On a commencé à faire des embryons de nouvelle fiscalité, et là va y’en avoir une nouvelle pour la 1ere fois depuis 30 ans. Pareil pour l’Ukraine, on nous disait que la défense européenne était impossible, mais on a fait en quelques mois quelque chose qu’on voulait pas faire depuis 60 ans. Le Green Deal pareil : aucun autre pays ne pense à la sobriété. Nous, on amorce des logiques comme ça. Décider à 27 pays et à 600 millions, ça met plus de temps. Face à l’urgence, ce n'est pas sûr qu’il faille être obsédé par l’accélération. 

Ce qu’il faut, c’est prendre de bonnes décisions, et ne pas se presser. Avant, c’était beaucoup éviter le choc et éviter le mur, maintenant il faut se demander à quelle vitesse on va le taper et comment on appelle les secours. Comment on équipe les toits, comment on plante les champs, la ressource en eau on en fait quoi, comment on fait pour que ça reste habitable. Il faut résonner en survivalisme festif et collectif. Ça sera pas forcément moins agréable à vivre que ce qu’on vit en ce moment."

Q: Parler des verts européens et des relations entre partis

DC: "Ça crée des débats. Moi je parle pas allemand, c’est un handicap. Je dirais que sur la société on est d’accord, mais nos différences avec les Grünen c’est le rapport avec le discours. Leur discours est moins frontal sur l’économie, mais ils sont pas forcément moins radicaux. Ils ont une com’ moins frontale et plus dans une position de pouvoir pour entreprendre la bascule avec des gens déjà installés au pouvoir. 

En France, on a une approche de contre pouvoir, on est radicalement contre ce modèle et on souhaite le renverser. A l’arrivée, c’est pas très différent. La différence c’est comment on en parle. On est le groupe européen qui vote le plus pareil, mais la délégation des verts français à des votes qui diffèrent parfois, car il y a des amendements de LFI qui, pour des raisons tactiques, nous font chier de voter contre, sinon ils vont nous emmerder. 

Mais des fois il y a des vrais désaccords avec les allemands. Avec ETS, la fiscalité carbone à l’intérieur des frontières, avec une fiscalité des entreprises et une fiscalité ETS 2 sur le carbone pour les transports et le logement des particuliers. Ça nous a rappelé les Gilets Jaunes. 

On peut pas financer la transition écolo contre ceux qui n’ont pas le choix : la fiscalité doit être redistributive et incitative, au pire elle est l’une des deux, mais sinon c’est une mauvaise fiscalité. Les allemands étaient pas d’accord, et ils l’ont voté quand même parce que c’était une fiscalité carbone, et ils ont voté dans un package avec ça et le fond social pour le climat, où on admet pour la 1ere fois qu’il fallait s’engager financièrement pour l’écologie. Mais on a décidé de voter ce qui était bien seulement. Nous L’Europe on doit pas taper les contribuables captifs. C’est pas des désaccords forts, on arrive à vivre ensemble mais on a pas la même culture politique. 

Moi la culture du compromis… bon. Au Final ETS a été voté. Le conseil a renvoyé au parlement un ETS injuste, et nous français on a voté contre, mais sans nos voix c’est passé quand même, et à l’arrivée, le package est positif. Le prix annoncé c’est 50 euros la tonne, et en France c’est déjà à 49 euros 50. Sauf crise majeure et augmentation du carbone, cette fiscalité ne va pas nous impacter. Le prix chez nous est déjà comme ça."