Reporterre 08/02/2024 - Crise de l’eau : «Les Pyrénées-Orientales entre Rassurisme et Déni»

Image: Le lac de Villeneuve-de-la-Raho (Pyrénées-Orientales), photo publiée par Pierre Bastien

Tribune de David Berrué, militant EELV/écologiste dans les Pyrénées-Orientales.

Face au manque d’eau, les Pyrénées-Orientales font l’inverse de ce qu’il faudrait faire, écrit ce militant dans cette tribune. Le département construit toujours plus et prône le technosolutionnisme.

Les Pyrénées-Orientales connaissent une baisse tendancielle des précipitations depuis dix ans. Mais faut-il croire les statistiques ? Voilà des données établies par des climatologues probablement hors-sol. N’habitant pas le territoire. Venus de Lutèce faire leurs petites mesures mesquines du haut de leur idéologie alarmiste. Méfiance. 



Plus sérieux est le ressenti collectif. Qui s’accorde à situer début 2020 la dernière vraie pluie, lors de la tempête Gloria. Il y a tout de même quatre ans. Mais n’est-ce pas là des variations saisonnières cycliques tout à fait naturelles, déjà observées à tel ou tel moment de l’histoire, sans qu’on en fasse une montagne ?

Hélas, c’est justement compter sans le massif du Canigou. La montagne sacrée des Catalans, devenue baromètre de la catastrophe en cours. Que son pic soit blanc et tout va bien. Blanc = il y aura de l’eau au printemps. Mais pas cette année. Et là, plus grand monde ne rigole.

Pas d’eau, mais un golf, des routes et un parc démentiel

L’eau manque. Les sols sont secs. La végétation meurt. Les nappes sont au plus bas. L’eau de mer s’y infiltre, sur la côte. Des rivières et au moins un fleuve ne coulent plus depuis des mois. Les retenues et barrages se vident. La situation va mettre des années à se rétablir, si elle se rétablit. Et pourtant. Aux avant-postes du changement climatique, les Pyrénées-Orientales sont aussi le laboratoire de ce qu’il ne faut pas faire. 

Admettons qu’il pleuve. La moindre goutte d’eau devrait pouvoir s’infiltrer dans le sol. Il faudrait arrêter les projets d’infrastructures entraînant leur imperméabilisation. Mais non. Cette rocade à 30 millions d’euros permettant de gagner trente secondes sur la route de stations de ski qui n’auront bientôt plus de neige : d’utilité publique. Ce morceau supplémentaire de contournement de l’agglomération de Perpignan : d’intérêt général. Ces 60 hectares dédiés à un nouveau super concept de parc à thème : on prend.

« Il serait dommage que ces bonnes terres échappent à la spéculation immobilière »

On pourrait se calmer sur l’urbanisation. Même des élus de droite commencent à le dire. Qu’importe. 35 000 nouveaux logements sont prévus rien que pour la plaine du Roussillon, tandis que des lotissements piscinables sortent de terre un peu partout. « Un territoire qui ne bâtit pas est un territoire qui meurt. » « Il faut bien que nos jeunes puissent se loger. » Et surtout, il faut construire avant que la loi sur la zéro artificialisation nette ne l’empêche. Et surtout, il serait dommage que toutes ces bonnes terres échappent à la spéculation immobilière. 


Tout cela va aggraver la pression sur la ressource en eau ; pas de problème. On va puiser dans le karst des Corbières, au nord du département. Coût de l’opération, d’après Veolia : 20 millions d’euros. Pour récupérer 1 million de m3. À condition que le karst reste à niveau, ce qui dépend de pluies hypothétiques. On va creuser des retenues collinaires. Remplies grâce au ruissellement, quand et si ruissellement il y a. Ou à défaut par la réutilisation des eaux traitées des stations d’épuration, dans la mesure où elles ne sont pas déjà nécessaires au soutien des débits dans les rivières. 

Enfin, on va dessaler l’eau de mer. Ce qui nécessite de l’énergie, implique des rejets néfastes pour l’écosystème marin et accélère le changement climatique. Mais que voulez-vous. On n’a rien sans rien.

Technosolutionnisme, rassurisme, déni 



La chose importante est de ne pas faire flipper les gens. Comme le disent en substance les représentants des intérêts locaux du lobby touristique : il faut rassurer. Ne pas refaire « les erreurs de l’an passé », lorsqu’à force de documenter l’état de sécheresse du département les vacanciers se sont détournés de notre destination. Personne ne sait quel sera l’état de la ressource en eau d’ici l’été ? Surtout ne changeons rien. Et prière aux médias parisiens de s’intéresser à autre chose. 



N’allons pas remuer le couteau dans la plaie. Par exemple, en ironisant sur l’avènement d’un nouveau golf, à Villeneuve-de-la-Raho, prétexte à la construction de 600 logements. Par exemple, en s’étonnant que la flotte serve à la production de neige artificielle dans les stations de ski, où l’on connaît des températures démentielles, alors que les réserves destinées aux besoins agricoles, plus bas dans la vallée, sont loin d’être constituées.

« L’agriculture ou la neige de culture ? » Au pire, la valorisation des terres cultivables passera par « l’agrivoltaïsme ». C’est-à-dire le déploiement de panneaux solaires par-dessus vignes ou brebis. Avec supplément de revenu pour des paysans comme chacun sait sans le sou. Une formule « gagnant-gagnant » comme on les aime. Avec juste en embuscade la transformation de terres nourricières en usine de production d’électricité. Ainsi qu’un léger impact sur les paysages. Bon. On ne peut pas tout avoir.

Mais trêve de sarcasme. Une mission interministérielle s’est récemment et spécialement penchée sur le sort du Pays catalan. On va enfin s’occuper des milliers de forages agricoles ou domestiques illégaux. Enfin traquer les fuites dans les réseaux de distribution d’eau potable. Mieux contrôler les professionnels concernés par les mesures d’économie. Réutiliser les eaux usées et les eaux grises, quitte à « devancer la réglementation ». Créer un « observatoire de l’eau » et aussi fournir aux élus un « guide de la gestion économe de la ressource ». Refuser enfin les projets d’urbanisation si la commune manque d’eau — c’est l’esprit, reste à voir la lettre.

 

Dans l’attente, attention à la montée en radicalité. Après l’interdiction à la vente des piscines gonflables en 2023, les propriétaires des 27 000 piscines officiellement recensées dans les Pyrénées-Orientales seront tenus, en 2024, de les protéger d’une bâche pour parer à leur évaporation. On souhaite un bon été aux vendeurs de bâches. 



Technosolutionnisme, Rassurisme, Déni : telle est par ici la Sainte Trinité, la résilience à la sauce catalane. 

Vous trouvez ça drôle ? Vous ne perdez rien pour attendre.

Auteur: David Berrué