La montée de la mer comme horizon
La mer monte : ce phénomène va s’amplifier, créant des problématiques nouvelles pour les élu·es des territoires littoraux. Dans l’Aude, cette réalité est à l’origine d’un vaste programme d’études du SMDA sur les aléas côtiers, permettant une réflexion sur les stratégies politiques à adopter. Faut-il se protéger ? Se déplacer ? C’est pour commencer à réfléchir à la question que des élu·es du littoral audois se sont déplacés le 22 février dernier, dans l’Hérault où la côte est grignotée depuis longtemps par l’érosion.
#LaGrandeMotte
Des élu·es ont exposé le projet d’extension de port - de restructuration en fait - qu’ils portent depuis 10 ans et dont le coût est estimé à 117 millions. Ajoutons le coût des études réalisées : 8 millions. Nous avons assisté à 45 min d’exposé dans lequel les mots : “mer”, “changement climatique”, “montée des eaux”, “érosion” ou “tempête” ne sont pas prononcés une seule fois.
La situation est si ubuesque qu’elle déclenche une vague de questions chez les élu·es audois·es. La réponse des élu ·es de La Grande Motte n’en est que plus frappante : “La Grande Motte n’est pas touchée par ces phénomènes. Ces travaux concernent des parties de la ville à 2,4 mètres au-dessus de la mer ! Et nos projections montrent que nous ne serons pas touchés avant 2050.” Bref, circulez, il n’y a rien à voir ici !
Ce retour d’expérience nous a ainsi enseigné que même si le phénomène de la montée des eaux n’est plus à prouver, il y a encore des politiques qui vivent dans le déni du changement climatique et poussent des projets d’un autre temps.
#Carnon
Nous arrivons ensuite sur une plage de sable fin. D’un côté, la plage étroite entourée de ganivelles qui retiennent le sable, créant un espace “nature” ; de l’autre, des maisons estimées à 1 million d’euros pièce.
Si à la Grande Motte, la plage accumule du sable (pour le moment en tout cas), à Carnon, la plage des Montpelliérains, quant à elle, s’érode rapidement. Un processus lié à l’urbanisation qui, avec la mission Racine, a fixé artificiellement un littoral très mouvant, et aux digues qui modifient les afflux de sédiments.
Pour enrayer le phénomène, les élus ont décidé de réduire les voies d’accès à la plage, de créer des sentiers écologiques et d’interdire les voitures qui fragilisaient la dune : “On a alors beaucoup gagné au niveau du cadre. Il faut s’imaginer que l’été, ici, 1 million de touristes fréquentent notre plage ! » La plage a, en outre, été amendée de sable, grâce à des travaux pharaoniques.
La drague hollandaise a aspiré 1 million de m3 de sable sur la flèche sous-marine de la pointe de l’Espiguette pour le déposer sur 10 km de plage (plages Petit Travers, Carnon, Palavas et le Grau du Roi), là où l’érosion fait rage.
Le processus a certes été ralenti mais pas à la hauteur de ce qu’ils espéraient. Et le sable est retourné en mer alors que la mairie continue de payer 120 000 euros par an d’emprunt pour cette action. De quoi laisser un goût amer au maire qui pose la question du coût/bénéfice de ce type d’action.
En attendant, une nouvelle stratégie, de plus petite envergure, va être testée, avec l’installation de trois épis dégressifs pour retenir le sable sur un tronçon, là où s’alignent les résidences (qui se vendent aujourd’hui encore à prix d’or). “Mais on ne pourra pas travailler contre la mer éternellement,” admet le maire qui, dans le même temps, insiste sur la mise en œuvre du repli.
#Sète #Marseillan
Autour de la table d’orientation, la vue est spectaculaire : à l’horizon, une étroite bande de terre entre la mer et l’étang de Thau sur laquelle on devine une forte emprise humaine.
« Sur ce lido, explique le maire de Marseillan, la route était régulièrement arrachée par la mer et rebitumée. Nous avons donc décidé de la reculer pour la coller à la voie ferrée pour que les dunes se reconstituent ».
L’opération est une réussite : la population est satisfaite (piste cyclable, balade nature dans les dunes…) et le phénomène d’érosion est maîtrisé. Mais sur le plus long terme, le site n’échappera pas à la montée des eaux, ce qui amène le maire à s’interroger sur les solutions et les outils qu’il faudra imaginer pour permettre une recomposition spatiale et le déplacement des habitants du littoral dans les terres.
#Frontignan
Nous voici maintenant sur les restes crénelés d’une plage à Frontignan, coincée entre la mer et plusieurs rangées de petites maisons. Le sol est dur. A l’horizon, des “T” géants en pierres, séparés de 100 mètres, sortent de l’eau. L’intervenant nous explique que c’est le résultat d’un collectif d’habitants, qui, dans les années 1970, ont réalisé ces ouvrages pour protéger leur plage.
Ici, la plage continue de s’éroder à grande vitesse, malgré l’ajout de sable. Des études indiquent un risque fort d’inondation mais qui viendra en premier lieu de l’étang de l’autre côté du lido. Les habitants sont ici aussi, dans le déni ; le marché immobilier se porte à merveille, les pavillons en bord de mer sont estimés à 400 000 euros. De quoi pointer, s’il le fallait encore, les paradoxes que les élus du littoral ont et auront à gérer pour mettre en oeuvre une pourtant nécessaire transition écologique.
La tâche est rude pour prendre les meilleures décisions et adapter notre vie au changement climatique quand les citoyens du territoire penchent pour d’autres solutions et/ou sont dans le déni.
“LA” solution n’existe pas; il y en a plusieurs et elles doivent se construire petit bout de littoral par petit bout, selon les aléas, les risques et les habitants. La réussite dépendra aussi de l’implication des citoyens dans le projet.